Les deux portes de la Vie
« Mourir, c'est comme naître mais à l'envers. »
Quand j'ai entendu cette petite phrase il y a bien longtemps, j'ai été choquée qu'on puisse oser faire le lien entre ces deux épisodes de la vie qui m'apparaissaient si contraires, si opposés l'un de l'autre. J'associais alors la mort à des images de fin d'automne, de terre en décomposition, de maladie, d'échec de la vie. La naissance éveillait en moi, au contraire, des émotions d'espoir, de renouveau, de fraîcheur, de doux printemps et de promesses... Puis, au fur et à mesure que l’Être qui se tient sur le seuil de sa nouvelle vie m'a enseigné ses peurs, son trac, ses doutes, sa colère, sa tristesse, ses joies, ses espoirs et ses défis, j'ai compris la sagesse de cette phrase.
Exilé…
Le mourant a peur de ce qui l'attend, certains bébés sur le point de naître aussi: « Nombreux sont ceux qui ont peur de naître » rapportent Anne et Daniel Meurois-Givaudan(1). Certains mourants doutent d'être attendu et accueilli « là-bas »; les bébés à qui l’on ne parle jamais aussi. Le mourant se sent parfois seul face à lui-même, face à ce qui l'attend et incompris malgré tous ceux qui l'entourent. S'apprêter à naître, m’ont dit certains enfants prénatals, c'est comme être exilé dans un pays inconnu où votre langue est inconnue et pour laquelle il n'existe aucun dictionnaire, ni traducteur, ni interprète. Le mourant dit adieu à son monde connu, à son identité; au fond de son nid utérin, le bébé aussi.
Des départs humanisés…
Les mourants sont de plus en plus nombreux à bénéficier d'un accompagnement lors de leur départ et les hôpitaux reconnaissent peu à peu l’importance des soins palliatifs. Les familles et les amis tentent d'humaniser le départ de leurs proches vers un ailleurs encore peu connu mais plus reconnu. Des accompagnateurs des derniers jours, des écrivains et des chercheurs(2) nous enseignent la beauté du moment et la richesse que révèlent les jours et les heures qui précèdent l'envolée. D'un autre côté, en périnatalité, on commence à considérer le nouveau-né comme un être conscient, sensible, percevant. Ainsi, il a fallu le merveilleux livre du docteur Frédérick Leboyer(3) pour commencer à nous sensibiliser au respect de l’enfant-naissant qui voit, entend et ressent. Finies les lumières crues et la fessée la tête en bas. Puis les chambres de naissance en milieu hospitalier et, plus récemment encore, les Maisons de Naissance et la légalisation de la pratique sage-femme, sans oublier les accompagnantes et les doulas, la PAB®, l'haptonomie, le yoga et le chant prénatal et toutes les approches orientées autour de l’enfant prénatal maintenant considéré comme une personne ont dessiné encore un pas dans son accueil et son accompagnement.
Les mêmes souhaits…
Le mourant tout comme le bébé in utero, tous deux à l’une des portes de la vie, l’une à la fin l’autre au début, ont les mêmes souhaits: être accompagné consciemment lors du processus de leur passage et ne pas être laissé seul. Tous deux souhaitent qu’on ne s’attarde pas seulement à leur corps –inachevé ou fatigué, ni aux apparences. Tous deux ont également plus de facilité à parler et comprendre le langage du cœur et de l’âme. Tous deux ont la faculté de ressentir et de sentir d’une façon plus intuitive et plus intense qu’à tout autre moment de la vie. La naissance et la mort, tout comme la gestation et la maladie, encouragent ce dialogue facilitateur où le cœur et l’âme reprennent une place prépondérante.
Comme en un gant...
Pendant les neuf mois de sa gestation, l’enfant vit une intense métamorphose. Cet être est en train d’apprivoiser sa nouvelle forme humaine qu’il sent très souvent le limiter d’une façon proche de l’insupportable. Durant les premiers mois, certains bébés se glissent dans leur nouvelle peau comme dans un gant, et s’amusent à ressentir de nouvelles sensations, alors que d’autres, au contraire, s’y tortillent, mal à l’aise, s’y sentant à l’étroit et frustrés de perdre une certaine liberté de mouvement. C’est le sens de certains forts coups de pied que la maman-en-devenir reçoit? Enfin, quelques-uns dorment carrément pour ne rien ressentir.
Plus nous allons tous -société en général et parents en particulier- nous mettre à l’écoute du bébé (né ou à naître) et mieux nous allons comprendre ses besoins précis pour vivre la traversée en douceur. Plus on apprivoise le mourir et moins l'au-delà nous effraie, cet au-delà qui nous enseigne le Passage fait d'accueil chaleureux et d'infini respect. Alors je suis capable de dire, moi aussi, maintenant: naître, c'est comme mourir, mais à l'envers.
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Notes:
(1) Les Neuf Marches, Anne Givaudan et Daniel Meurois
(2) Elizabeth Kübler-Ross
(3) Une Naissance Sans Violence, Frédérick Leboyer